vendredi 17 mai 2013

Abercrombie & Fitch, la RSE vous déplaît ?


La polémique toute récente autour des déclarations de Mike Jeffrie, patron d'Abercombrie et Fitch sera particulièrement intéressante à observer, tant elle recèle tous les ingrédients du cocktail communication et responsabilité.

Alors bien-sûr, il sera de bon ton de s'insurger dignement, au nom de valeurs morales politiquement correctes, du fait que cette marque américaine au nom à peine prononçable, refuse de produire, donc de vendre, des produits à des personnes dont les standards physiques desserviraient la réputation de la marque.

En oubliant au passage que la sélectivité chez les marques, c'est pas franchement nouveau…

Allez, qui n'est jamais allé au Mondial de l'Auto en bavant secrètement sur les stands de voitures de sport, jalousement délimités par des clôtures en velours, surveillés par quelques dissuasifs vigiles, cerbères en costumes sombres veillant d'un œil méprisant sur un monde idéalisé peuplé de véhicules de rêve… et d'hôtesses sexy ?

Qui n'a jamais agité son "invitation Top VIP" pour accéder en "avant-première exclusive" aux soldes de je ne sais quelle marque branchée (ou pas) ?

C'est tout simplement une segmentation marketing autrefois appelé "le marketing de la rareté", aujourd'hui "marketing de l'exclusivité" possible quand l'entreprise a un bon CRM. 
Rien de neuf sous le soleil donc.

Le tort de Mike Jeffrie ? La transparence. 
Enfin le tort, nous verrons bien… mais le patron de la marque assume sans ambiguité le positionnement de sa marque, la vision de son marché et une belle connaissance de ses clients.
Certes, il le fait avec une dose de cynisme, voire de mépris, assez inhabituelle, mais de manière cohérente avec ses objectifs.
Mais il le fait ! Il répond aux questions, reproches, accusations de manière directe et transparente.

Quelle marque peut afficher autant de franchise ?

La morale ou le politiquement correct ne font pas la marque. En tout cas ils ne génèrent que très peu de valeur. Ca ne paye pas !
Et c'est logique, ce sont des valeurs, donc elles ne sont pas universelles. Dans un contexte mondialisé depuis belle lurette, elles ne seront jamais les mêmes pour tous ! 

Nous savons tous pertinemment que la valeur d'une marque, et a fortiori celle d'une marque de vêtements de prêt à porter, n'est pas vraiment contenue dans la matière première et la quantité de travail qui les composent…
La valeur de ces marques est très majoritairement immatérielle : design, tendance, innovation, positionnement marketing. Bref, capacité à générer du désir pour ne pas dire de l'affection.

On ne porte pas un t-shirt : on porte un Ralph Lauren, un Lacoste ou un Abercombie.
De la même façon qu'on allume son Mac, qu'on conduit sa Porsche ou qu'on enfourche son Harley pour aller se faire un McDo.
Et, à date, on ne force personne à le faire…

Le risque ? Une pression qui nuirait au business. 
Mais tout n'est pas si simple. Construire la réputation et la valeur immatérielle d'une marque demande du temps et des investissements, eux bien matériels. La détruire demande quelques jours.

Et ceux qui peuvent la détruire, ce sont les parties prenantes.

C'est le moment ou j'y vais de mon rappel de ce qu'est, à mes yeux (mais pas que), la RSE : 
Deux appréciations s'opposent. 
La vision Bisounours dans laquelle l'entreprise "cherche du sens", fait du "bien", du "bon", "réinvente" ou "ré-enchante" la vision de son métier, bla bla bla…
Ces bonnes résolutions de premier janvier ne survivent en général pas au premier toussotement économique de l'entreprise. C'est à dire quelques mois. 

Puis il y a la version connectée au business. Celle qui considère que la RSE est faite des interactions issues des pressions entre les parties prenantes et l'organisation.
Pas de pression… pas de réponse. Voir le billet sur la matérialité publié sur ce blog.
N'oublions pas que la première pression et la première responsabilité de l'entreprise, c'est de faire du profit. Pas de profit… pas d'entreprise !

La responsabilité de l'entreprise, c'est d'être en capacité d'apporter des réponses satisfaisantes à des exigences -potentiellement impactantes sur le business- des parties prenantes.

A partir de ce moment, la vraie question qui se pose, et qui sera intéressante à observer, c'est de savoir si les différentes pressions qui vont s'exercer sur A&F seront suffisantes pour générer un risque sur le business… ou une valeur supplémentaire auprès de sa partie prenante N°1 : ses clients.

Les générateurs de pressions seront la clé
Boycotts, manifestations, vidéos sur Youtube, articles de presse, lois et réglementations, saturation de la page Facebook, prise de position de leader d'opinion,… les pressions possibles sont nombreuses et, nous le savons tous, diablement efficaces (merci le web 2.0).

Et Mike Jeffrie, comme tous les autres, est bien incapable de prédire aujourd'hui ce qui va se passer dans les jours et les semaines à venir. 
En se croyant plus gros, plus organisés ou plus à l'abri, certaines grandes marques ont du céder du terrain face à Greenpeace ou d'autres. Zara, Nestlé, Dove et quelques autres ne me démentiront pas.

La capacité des parties prenantes à générer un risque sur le chiffres d'affaires ou la valeur boursière de l'entreprise est donc la seule inconnue à ce jour.

  • Une ONG influente va-t-elle faire bouger les choses ?
  • Une loi anti-discrimination dont les américains sont friands va-t-elle s'appliquer ?
  • La presse va-t-elle focaliser sur A&F ?
  • Un film Youtube va-t-il modifier les habitudes de consommation ?

Bien malin celui qui pourra le dire à ce jour.
A&F joue donc un coup de poker. Soit la pression est efficace au sens où elle génère un risque sur le business, soit elle ne le fait pas, soit elle génère… encore plus d'exclusivité donc de valeur auprès des aficionados de la marque.

Mais reconnaissons à Mike Jeffrie au moins une qualité : il est responsable dans le sens où il apporte une réponse aux questionnement de ses parties prenantes.

Il n'a pas nié, il n'a pas louvoyé, il a été très réactif (quelques jours pour réagir), il a été honnête et il a exposé un business-model qui, à date, fonctionne bien.

Cynique la RSE ?…

vendredi 25 janvier 2013

RSE sans matérialité ? Sérieusement, c'est encore possible ?

Depuis la sortie de la norme ISO 26000, la RSE se professionnalise. 
Nous passons rapidement "d'engagements développement durable" convenus, copiés les uns sur les autres à un "reporting RSE" dont les figures imposées -mais spécifiques- sont désormais : normes, standards, vérifications, certification, périmètre, intégration et matérialité.

Tant mieux ! Laissons loin derrière nous les incantations, les visions éthérées et les poncifs pénibles qui ont laissé croire que l'entreprise pourrait se détourner de la recherche vitale de profit pour devenir des bisounoursland dans lesquels l'homme serait enfin au centre. Au centre d'on ne sait quoi, d'autant plus qu'on ne saurait dire exactement où il était avant ? 
Franchement, c'était beau. On y a tous cru un moment non ?

Matériali…quoi ?
Oui, en général c'est la réponse que vous recevez quand vous lâchez ce mot en réunion.
J'en vois déjà un ou deux dont le visage se fend d'un demi-sourire en me voyant prendre la parole sur ce sujet.
Ils doivent se souvenir que, il y a encore quelques semaines, je demandais en mode panique à qui voulait bien me répondre ce qu'était l'analyse, ou pire, la matrice de matérialité dans une démarche RSE…
S'ils me voyaient maintenant faire le malin en réunion, le sourcil gauche relevé de celui-qui-sait-et-qui-veut-bien-vous-dire-parceque-c'est-vous, stylo en main, graphique négligemment lâché sur un bloc-note, que personne ne relira jamais, secrètement heureux de constater que son explication a eu autant d'effet pédagogique sur son auditoire que celle d'un Godard faisant le pitch de son dernier film sur France Culture un soir de grève de l'ORTF.
Mais ça c'était avant.
Avant que j'aie à l'expliquer aux étudiants de l'USQV
Mais c'est une autre histoire.

Vous échappez au bloc note, mais j'ai un graphique sous la souris
La matérialité c'est le réalisme, la cohérence, de la démarche RSE d'une organisation.
C'est la mesure la plus précise possible de la pression sur le business qu'applique une partie prenante, donc du besoin ou pas que l'organisation a de tenir compte de cette pression.
Autant dire qu'il faut déjà connaître ses parties prenantes (via une cartographie) mais aussi jauger de l'influence, donc du risque, que chacune fait courir à l'activité (car il s'agit bien de ça non ?) et définir logiquement la démarche RSE, donc stratégique, de l'entreprise en fonction de ces informations.

En plus simple. Si on construit des voitures, on a un arsenal de réponses face aux problèmes de pollution au diesel, de sécurité routière, de possession vs usage et que sais-je encore. Mais le bio à la cantine, le papier recto-verso du copieur du service com et la page intranet sur le co-voiturage que personne ne consulte jamais, ne font et ne feront jamais office de stratégie d'entreprise ayant intégré les signaux forts liés à son activité automobile.

Je peux faire la même sur l'alimentaire, l'énergie, l'informatique et la fabrication de bilboquets.
Non ? 
Pourtant le bilboquet, ça gagne à être connu.

Encore trop peu de matérialité dans ce monde de douceur…
Le constat s'impose : peu d'organisations ont publié sur la matérialité. Une recherche sur le web renvoie à Total, Sanofi, SFR, Orange. Avec des approches assez différentes.

Admettons que c'est encore nouveau, tendanciel. 
Admettons aussi qu'on arrivait tout juste à comprendre l'immatérialité de l'entreprise et que maintenant, c'est le tour de ma matérialité !
Admettons…
Mais rater le coche en 2013 sera une erreur.
Et c'est assurément une compétence à maîtriser rapidement par les prestataires RSE qui ont en charge le reporting de leurs clients. Ils devront non seulement maîtriser le sujet ( le sourcil gauche restant une option) mais aussi pousser leurs clients à réaliser l'analyse de matérialité. 
Du bon travail en perspective. Qui osera encore parler de crise ?… 

Car au final, ce qu'il ne faudra plus voir, c'est ça ! 
Faut-il ajouter des commentaires à cet affligeant exercice de "journalisme" ?
Si la réponse est oui, il y a des cases pour ça en bas !

Merci Marion !
Quand on est un gentil garçon poli comme moi, on mouche son nez et on dit merci à la dame.
La dame en l'occurrence, c'est Marion Dupont qui me fait l'honneur de suivre ce blog et qui a produit une très bonne analyse de tendance sur le reporting RSE.

Je vous invite à lire ce billet autrement plus instructif que les incantations gouroutesques de ceux qui veulent faire subir aux Mayas les derniers outrages à la Gaité Lyrique un soir de décembre. Persistant dans leur posture religieuse à cantonner la RSE dans le seul registre du bien ou du bon avec une facilité à manipuler les foules qui me fait froid dans le dos autant qu'elle m'énerve.
Ça, c'est fait. Il me reste quoi…

Ah oui, bonne année 2013 !

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Mise à jour : 14 février 2013
Un très bon billet, exhaustif et clair, de la part de Maël Delemotte sur son blog Stratégies RSE
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